Peu de choses sont plus décourageantes à voir que le venin que les gens mesquins dirigent vers ceux dotés de génie.
Et peu de choses sont plus réconfortantes à voir que la solidarité et le soutien que des âmes sœurs de bonne volonté apportent aux personnes ciblées par de telles attaques.
En 1903, Marie Curie (7 novembre 1867-4 juillet 1934) est devenue la première femme à remporter le prix Nobel. Elle et son mari Pierre, l’ont remporté conjointement pour leurs recherches pionnières sur la radioactivité.
Le 19 avril 1906, elle devint veuve à cause d’un accident d’autant plus tragique qu’il fut improbable. En traversant une rue parisienne animée par une nuit pluvieuse, Pierre glissa, tomba sous une charrette tirée par des chevaux et fut tué sur le coup. Curie pleura pendant des années. En 1910, elle trouva du réconfort auprès du protégé de Pierre, un jeune professeur de physique du nom de Paul Langevin, marié mais séparé d’une femme qui l’avait agressé physiquement. Ils devinrent amants. Furieuse, la femme de Langevin engagea quelqu’un pour entrer par effraction dans l’appartement où ils s’étaient rencontrés et voler leurs lettres d’amour, qu’elle divulgua aussitôt à la soi-disant presse. Curie fut décrite par la presse comme »une briseuse de foyer juive étrangère. »
Einstein considérait Curie comme « une personne honnête et sans prétention » avec une « intelligence pétillante ». Lorsqu’il apprit le scandale, il fut choqué par l’insipidité et la cruauté de la presse – les tabloïds avaient dépouillé une situation privée de toute humanité et nuance, et l’avaient rendue publique avec l’intention délibérée de détruire la réputation scientifique de Marie Curie.
Maître des belles lettres de consolation et champion de la gentillesse en tant que motif central de la vie , Einstein écrivit à Curie avec une solidarité et un soutien sans réserve, l’encourageant à ne donner aucun crédit aux commentaires haineux de la presse. La lettre, trouvée dans la formidable biographie de Walter Isaacson Einstein: His Life and Universe, est un témoignage de la générosité d’esprit qui a accompagné l’intellect sans précédent d’Einstein – un chef-d’œuvre de ce qu’il a lui-même appelé «génie spirituel».
À son retour d’une conférence scientifique historique sur invitation à Bruxelles, où elle avait rencontré Albert Einstein (14 mars 1879-18 avril 1955), Curie trouva une foule en colère devant sa maison à Paris. Elle et ses filles furent obligées de rester chez un ami de la famille.
Einstein, qui remarquera plus tard que « Marie Curie est, de tous les êtres célèbres, la seule que la célébrité n’ait pas corrompue », écrivit :
Très estimée Mme Curie,
Ne vous moquez pas de moi pour vous avoir écrit sans avoir rien de sensé à dire.
La vile manière dont l’opinion publique se permet de s’intéresser à vous me rend tellement furieux que je me dois de vous faire part de ce sentiment.
Cependant, je suis convaincu que vous méprisez constamment cette populace, qu’elle vous prodigue du respect obséquieux ou qu’elle tente d’assouvir sa soif de sensationnalisme !
Je suis obligé de vous dire combien j’en suis venu à admirer votre intelligence, votre dynamisme et votre honnêteté, et que je me considère chanceux d’avoir fait votre connaissance personnellement à Bruxelles.
Toutes les personnes n’appartenant pas à la catégorie des ‘reptiles’ ne peut évidemment que se réjouir, autant aujourd’hui qu’hier, d’avoir des personnes telles que vous et Langevin parmi nous.
Si la racaille continue de parler de vous, alors ne lisez tout simplement pas cette foutaise, mais laissez-la plutôt au reptile pour qui elle a été fabriquée. »
Avec mes salutations les plus amicales, Langevin, et Perrin, bien à vous,
A. Einstein
Peu de temps après le scandale, Curie reçut son deuxième prix Nobel, cette fois en chimie, pour sa découverte des éléments radium et polonium. À ce jour, elle est la seule personne à avoir reçu un prix Nobel dans deux sciences différentes, elle demeure l’un des esprits les plus visionnaires et les plus appréciés de l’humanité. Les personnes qui l’ont diffamée ne sont connues de personne et déplorées de tous.