Image crédit : chelloveck
Elever le spectateur de la souffrance silencieuse
Je suis la victime, l’acteur et la spectatrice de souffrances. Plus ou moins fortes, mais bien là, partout là.
Je suis la victime, l’acteur, la spectatrice… Mais tu l’es aussi. Nous le sommes tous.
Alors qu’être en posture de victime n’appelle aucun doute sur le fait qu’on le sait et qu’on le sent, ou qu’on le saura et le sentira bien assez vite (si l’on se donne la peine de s’écouter)… La posture d’acteur ou de spectateur n’est pas toujours consciente. J’ai réfléchi ce soir à ce rôle inconfortable, peut-être plus que d’être victime finalement.
L’acteur inconscient de la souffrance, qu’il soit conjoint devenu égocentré, ami désintensifiant petit à petit la relation, parent non investi dans l’éducation, manager préoccupé par autre chose que son équipe… ne peut recevoir plus beau cadeau que d’entendre sa victime lui exposer ce qu’elle ressent et lui exprimer sa capacité à pardonner. S’il a cette chance de recevoir le signal, il est alors de son devoir de faire preuve d’humanité, c’est à dire d’entendre, de comprendre et d’adapter ses comportements pour éviter la reproduction malheureuse.
Pour ce qui est de la 3ème part en nous, celle de spectateur inconscient de la souffrance, laissez-moi employer une hyperbole.
Imaginez-vous marcher sur un chemin, très long, tout droit, tout plat, interminable. Pas une âme qui vive.
Et puis, d’un coup, une personne sur le côté qui se tord sur elle-même et gémit intensément. Aucun doute, vous vous mettez à courir pour la se-courir. Le « signal » que cet être a envoyé appelle tellement l’émotion « souffrance » en vous, qu’il est instinctif d’intervenir en urgence.
Cette personne au bord de votre chemin, c’est l’hyperbole du monde en guerre qui souffre sous les caméras, du conjoint que vous savez traverser avec douleur une épreuve, de l’ami qui vous appelle dans la nuit, de l’enfant qui fait un cauchemar ou perd pied dans sa scolarité, ou encore du collaborateur en burn-out qui cumule les anomalies dans son travail.
Imaginez maintenant la même scène mais avec une personne assise de dos, recroquevillée en silence. Vous passez votre chemin, alors que vous la voyez inconfortable, posée seule sur le bas-côté, mais elle ne vous envoie aucun signal clair, explicite, de souffrance potentielle.
Cette personne au bord de votre chemin, c’est moi, c’est lui, c’est elle. C’est chacun d’entre nous dans notre vie : nous sommes seuls et très souvent perdus sur le chemin de la vie, et malheureusement tous blessés. Enfants comme adultes. Nous souffrons tous, dans nos couples, nos relations amicales, nos familles et nos contextes professionnels… : mais cela ne se voit pas de prime abord. Certains prennent le soin d’envoyer un message chaque jour, d’appeler tous les soirs à 19h, ou tout simplement de poser une question ouverte en se retrouvant.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas secourir celui qui réclame assistance haut et fort.
Mais je ressens que celui qui ne marque pas un temps d’arrêt auprès de celui qui souffre en silence, pour dire « Bonjour… » (c’est à dire reconnaître l’existence de l’autre), puis « ça va? » (s’inquiéter de son prochain) manque de compassion humaine, d’empathie.. bref, d’Amour. Il ne sait pas entendre la souffrance sans signal, la souffrance … silencieuse. C’est le conjoint qui ne perçoit pas son rôle de soutien dans le contrat moral de la relation amoureuse, c’est l’ami qui estime que penser à l’autre suffit plutôt qu’à aller le voir, c’est le parent qui se contente des rituels superficiels familiaux, c’est le patron qui ne fait plus le tour de ses salariés le matin en arrivant et qui s’enferme dans son bureau toute la sainte journée.
Nous avons tous l’élan pour soutenir moralement, à défaut de pouvoir agir, les nombreux êtres en souffrance qui ont la chance, dans leur souffrance, de pouvoir l’exprimer ou de la faire exposer. Parce qu’ils ont la force de le faire, ou parce que les médias, les collègues, les frangins… sont là pour relayer l’information.
Les aider est une preuve d’amour universel de la part des bénévoles, des donataires de bonheur ou de ressources matérielles.
Mais nous avons, chacun d’entre nous, autour de nous des personnes qui souffrent sans envoyer de signal. Prenons-nous le soin de nous pré-occuper d’eux ? Apprenons à développer notre faculté d’empathie pour savoir capter le besoin d’aide de l’Autre, sans qu’il n’ait à le manifester.
Image crédit : chelloveck
Peut-être pour lui, est – ce impossible d’exprimer ses états d’être, par manque de ressource, de contexte favorable, d’opportunités… ? Auquel cas, je dois faire preuve de tolérance pour le comprendre, et intégrer une bienveillance supplémentaire pour que cela ne m’économise pas – plus – de mon inquiétude pour luiPeut-être a t’il envoyé un signal que je n’ai pas perçu comme étant un besoin de main tendue ? Auquel cas, ai-je été attentif, vraiment ? Ai-je été suffisamment présent pour percevoir le signal faible ? Me suis-je offert les conditions d’écouter, et d’entendre – de voir, et de regarder ?Et dans le même ordre d’idée, décidons-nous de faire preuve de qualités humaines avec les inconnus qui croisent notre chemin, plutôt qu’avec ceux qui longent notre chemin et nous aiment ? Si vous reconnaissez cette personne silencieuse sur le bas-côté, aurez-vous une propension plus forte à l’aider que s’il s’agit d’un inconnu ? Oui, évidemment, me direz-vous. Et bien, non, désolée, cela ne se confirme pas toujours.
La confirmation que je suis une belle personne, faisant preuve d’attention à l’Autre (d’humanité en bref) a t’elle plus de valeur si elle vient d’un inconnu, que de ceux qui m’aiment déjà ? Est-ce normal de davantage servir l’inconnu ?
Un client qui réclame une prestation est-il plus important que ses collaborateurs qui ont besoin d’être encadrés et motivés ? Une victime de guerre à laquelle j’offre mon soutien bénévole dans une association, et qui me prend mes soirées, est-elle plus importante que mon enfant qui a besoin de ma présence ?
Un hôte d’un soir mérite t’il plus d’attention que son conjoint ? La quête de reconnaissance, et l’assurance de l’acquis dans les relations les plus intenses, dérèglent les comportements. Et j’ai toujours, toujours le choix.
N’attribuons pas la majorité de ce que l’on est à la majorité des gens, cherchons à l’offrir à la minorité des plus proches. Le militantisme finit rarement par payer, l’exemplarité pour l’entourage, elle, paye toujours, et est la base qui autorise l’action plus large. « Change toi, pour changer le Monde ».
Oui, avant toute chose, change toi… mais pour changer le Monde, il te faut contribuer à changer ton plus proche, car la somme des plus proches fait le Monde. Je ne suis pas La France, je suis d’abord Toi. Car toi, et le toi de ton toi, fait la France, fait le Monde. Et je promets de toujours faire mieux avec qui je suis, Moi.
Elever le spectateur de la souffrance silencieuse, Auteure : Emmanuelle Tandonnet
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Bio :
Emmanuelle Tandonnet dirige une agence conseil en communication depuis 13 ans. Se sentant auto-aliénée par une vie de petit patron qui se démène, elle décide de faire un break et de partir en pèlerinage sur St Jacques de Compostelle, dans une visée de découverte d’elle-même. Elle narre sur sa page Facebook Emmanu’ailes ses préparatifs, ses journées de marche solitaire, ses rencontres en chemin… mais partage surtout ses états d’êtres, ses prises de conscience lorsqu’elle pèlerine sur le GR65 ou dans la Vie.
Bravo , article très profond. Merci