MOTIVATION POUR CHANGER
Je fus motivé à m’aventurer dans cette direction après avoir entendu un homme d’âge moyen qui bégayait expliquer comment il s’était lancé, avec succès, dans une carrière d’orateur. Jusqu’à cet instant, j’étais convaincu qu’une telle activité était hors de portée d’un individu qui bégayait. Son témoignage prouva le contraire — et je voulais suivre son exemple.
Mais pour ce faire, je savais devoir modifier l’étroite vision avec laquelle je me considérais. Je devrais ébranler ces croyances dévalorisantes qui, depuis tant d’années, m’empêchaient d’agir.
Je commençai par adopter une politique de tolérance zéro envers toute stratégie d’évitement, y compris les substitutions de mots (desquelles je dépendais lourdement). Je pris également la décision historique d’être plus ouvert au sujet de mon bégaiement, en partageant (avec des amis, les membres de ma famille et même de parfaits inconnus) l’impact qu’il eut sur mon existence quotidienne. Après avoir passé ma vie à tout faire pour camoufler mes difficultés orales, j’abandonnai mes tentatives de me présenter comme locuteur fluent. Je souhaitais qu’une telle transparence me permette de vivre une existence plus authentique. Subséquemment, être honnête envers moi-même et mes interlocuteurs eut un effet désensibilisateur considérable.
PLAN D’ACTION
J’élaborai un plan d’action étendu qui me placerait délibérément (et de façon routinière) en situation de parole exigeante. Je suis devenu proactif à chercher de nouvelles expériences en scrutant les journaux, les annonces sur babillards et autres sources semblables, à la recherche d’événements qui me permettraient d’interagir avec d’autres personnes (et particulièrement de parfaits inconnus). Je voulais simplement élargir mes horizons et expérimenter avec la vie.
Je suis soudainement devenu conscient de la pléthore d’intéressants ateliers/séminaires offerts dans la communauté. Par le passé, de telles annonces n’attirèrent pas l’attention de mon esprit conscient, l’image que je me faisais de moi excluant la possibilité que je puisse participer à de telles activités. Mais maintenant que j’étais réceptif à ce genre de choses, ce type d’information me « sautait au visage »
Je m’enrôlai à de nombreux cours n’ayant, en apparence, rien à voir avec le bégaiement. Ils touchaient des sujets aussi variés que l’affirmation de soi, l’estime de soi, construire la confiance en soi, la pensée positive, les habiletés communicatives/d’aide psychologique/d’écoute active, le théâtre, le chant et la danse.
De telles expositions me permirent de découvrir des facettes d’Alan Badmington dont j’ignorais jusqu’à qu’alors l’existence. Contre toute attente, toute une panoplie d’attributs, d’habiletés et de qualités (qui étaient, pendant toutes ces années, restés en dormance et inexploités) se mit à éclore. Avec le temps (et alors que je devenais de plus en plus à l’aise à tenir de tels rôles/responsabilités), l’image que je me faisais de moi s’élargissait considérablement pour accommoder ces nouveaux rôles. De plus, j’avais régulièrement l’occasion de converser avec des personnes provenant de tous les milieux — activité à laquelle je prenais grandement plaisir. Soyez assurés que je n’hésitais aucunement à les renseigner sur les considérables défis que doivent confronter, quotidiennement, les personnes qui bégaient.
PARLER EN PUBLIC
Évidemment, parler devant des groupes avait toujours occupé une place de choix dans ma hiérarchie des peurs. Tout un catalogue d’expériences pénibles, accumulées pendant toute ma vie, avait gardé bien vivante la flamme de ma croyance que je ne pourrais jamais me livrer à une telle activité. Et je savais devoir réduire au silence cette voix sceptique qui s’efforçait de me dissuader de participer à de telles activités.
Je rassemblai tout ce que j’avais de courage pour me joindre à l’Association of Speakers’ Clubs, organisation britannique qui tenait ses origines des Toastmasters International. Ma prestance et mes habiletés (générales) langagières s’améliorèrent considérablement, de même que ma confiance. De plus, mon critique interne se fit moins bavard.
Peu de temps après, j’acceptai l’invitation à parler devant un groupe local dans le but d’accroitre la connaissance et la compréhension du public sur la vie avec le bégaiement. Pendant ma présentation de 60 minutes, j’ai parlé (avec menus détails) de mon expérience personnelle — dont une description des subterfuges complexes que j’utilisais pour me prémunir contre la honte et l’embarras. La réaction favorable de mes auditeurs me renversa.
Après cette première expérience, mes engagements oratoires augmentèrent rapidement au fur et à mesure que le mot circulait d’un organisme communautaire à un autre. Le besoin d’orateurs est, en effet, insatiable. Sans pratiquement aucune publicité, j’ai, à ce jour, partagé l’histoire de ma vie avec plusieurs centaines d’auditoires.
Après chacune de mes présentations, je tiens une période de questions. Alors que certaines d’entre elles sont liées à l’histoire de ma vie, d’autres questions sont de nature plus générale. Mes auditeurs sont également à l’affut d’indices sur la façon de réagir face à une personne qui bégaie. Plusieurs m’ont dit qu’ils ignoraient jusqu’alors à quel point le bégaiement pouvait affecter la vie d’un individu. Maintenant qu’ils comprennent mieux ce dont il s’agit, ils m’ont confié qu’ils allaient dorénavant considérer le bégaiement autrement.
Face à la réception enthousiaste de mes présentations, mes croyances et mes perceptions (de ce que les autres pensaient de moi) sont maintenant des plus positives. Les rétroactions me démontrèrent que j’avais gagné la reconnaissance, le respect (et même l’admiration) de mes auditeurs.
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GRANDIR DAVANTAGE
Dès que j’adoptai un style de vie plus expansif, je découvris assez rapidement que je pouvais accomplir des activités qu’auparavant j’avais toujours refusées. C’était vraiment excitant !
Ayant goûté à ces délices, rien ne pouvait plus m’arrêter. J’étais envahi par un désir brulant de m’aventurer davantage hors de ma zone de confort et d’explorer des territoires inconnus. L’âge n’était pas un facteur — je désirais simplement reculer les limites que je m’étais imposées et jouir de l’expérience en me livrant à des activités que j’avais considérées, jusque-là, comme difficiles ou impossibles.
Me libérant de la force gravitationnelle de mes schèmes antérieurs de pensée dévalorisante, j’avais une sensation de liberté, sans parler de ma découverte d’une quantité d’autres aventures excitantes qui se retrouvaient maintenant dans mon rayon d’action. Une telle réalisation m’encouragea à viser de nouveaux horizons et à emprunter plusieurs directions.
Ayant réfléchi sur cette excitante période de ma vie, je réalise que j’ai simplement fait tout ce que je voulais faire, sans me préoccuper du résultat. Je ne me souciais nullement de réussir — le succès n’était même pas une considération. J’avais simplement une envie folle de m’aventurer davantage en territoire inconnu et de profiter d’expériences nouvelles.
Une fois prise la décision d’entreprendre un plan d’action concerté, je n’avais nul besoin d’autre motivation. C’est que, voyez-vous, je me livrais à des activités que j’avais toujours rêvé d’accomplir ; je m’exprimais en situations que j’avais surtout évitées ; et je disais les choses que j’avais toujours voulu dire. C’est très formateur de découvrir que de s’aventurer dans l’incertitude (et affronter l’inconnu) peut être aussi exaltant.
Si nous voulons progresser dans la vie, on doit prendre des risques (peu importe l’âge) — et pas seulement pour notre parole. Nous ne pouvons progresser que si nous sommes disposés à nous aventurer vers l’incertitude en empruntant des parcours générant la peur. À moins de nous placer en situations plus exigeantes, nous continuerons à ignorer nos véritables capacités. Vivre une existence paisible et prévisible nous bloque l’accès à des occasions de découvrir à quel point nous sommes courageux et extraordinaires.
L’ÉTAT D’ESPRIT DU CHANGEMENT
Mais on ne peut modifier nos comportements par le statu quo. Il nous faut élargir la perception que nous avons de nous-mêmes pour accommoder de nouveaux rôles/activités — autrement, notre actuelle image de soi continuera à nous imposer ses restrictions.
Le développement personnel ne se produit que lorsque nous nous aventurons au-delà de notre zone de confort actuelle. Cela exige de redessiner nos cartes mentales de manière à faire reculer les frontières de nos zones sécuritaires et habituelles. Lorsque nous ressentons l’inconfort, c’est que nous confrontons la peur. Cela nous confirme que nous prenons un risque. Tout comme la tortue, vous ne pouvez avancer que si vous vous étirez le cou. Les seules limites sont celles que nous nous imposons.
Le succès que nous connaitrons sera proportionnel au risque que nous prendrons — au fur et à mesure que nos vies s’élargissent pour accommoder un plus grand nombre d’expériences, nous gagnons en pouvoir personnel. Et avec l’accroissement de notre pouvoir personnel, de même pour la confiance que nous avons en nos capacités. Malgré les peurs que nous rencontrerons, nous trouvons plus facile de poursuivre le processus d’agrandissement de nos zones de confort. J’ai constaté devenir, avec le temps, plus aventureux, l’ampleur du risque augmentant de façon proportionnelle.
Lorsque nous accomplissons quelque chose que, jusqu’ici, nous considérions comme impossible, cela nous amène à reconsidérer nos croyances dévalorisantes. En étant victorieux sur quelque chose qui représentait un défi à notre progression, nous gagnons en stature. Lorsque nous remportons une course à obstacles, cela nous ouvre les yeux sur des possibilités qu’on n’a peut- être jamais imaginées. Lorsqu’une nouvelle expérience nous renforce, nous progressons également en tant qu’êtres humains.
Plusieurs d’entre nous ignorent totalement ce géant qui sommeille en nous1. Je fus, pendant tant d’années, convaincu que je devais à tout prix éviter de prendre la parole en public. En fait, j’étais prisonnier de l’étroite conception que j’avais de moi-même et qui déterminait mes schèmes de pensée et mes comportements. En défiant mes croyances dévalorisantes et en prenant des risques, j’accédais à mon véritable potentiel (bien qu’à un âge avancé).
Après avoir craint de prendre la parole en public pendant la majeure partie de ma vie, parler en public représente maintenant une composante intégrale et excitante de mon quotidien. Au cours des dernières années, j’ai eu le plaisir de gérer un agenda bien rempli par des engagements sur trois continents. De plus, j’ai élargi ma politique d’ouverture en parlant de mon bégaiement à la radio et à la télévision.
Il m’est parfois difficile de me souvenir de l’état d’esprit restrictif qui, jadis, affecta de façon si négative ma parole (et qui déterminait ma vie). Les choses que j’avais l’habitude d’éviter (et qui généraient tellement de peur) sont devenues routinières grâce à l’image élargie que j’ai de moi. Je suis maintenant parfaitement à l’aise (et j’en retire une immense satisfaction personnelle) en me livrant à ces activités.
ON N’EST JAMAIS TROP VIEUX POUR… POUR DÉCOUVRIR SA RAISON DE VIVRE
Le théologien écossais, William Barclay, écrivait :
« Il y a deux jours importants dans la vie d’une personne — le jour de sa naissance et le jour où elle découvre pourquoi. »
Je ne crois pas me tromper en affirmant que la plupart des gens connaissent (et à un très bas âge) la date à laquelle ils sont entrés dans ce monde.Mais pour certains d’entre nous, cela exige beaucoup plus de temps avant de pouvoir identifier le(s) parcours que nous préférons emprunter durant notre vie, surtout si nous bégayons.
Malheureusement, plusieurs d’entre nous s’accrochent à la croyance que nous ne puissions accomplir une tâche spécifique, ou remplir une responsabilité particulière parce que nous avons connu, par le passé, des revers. Plusieurs d’entre nous se retiennent à cause de croyances périmées ou de l’opinion négative d’une autre personne. Ces dernières années, j’ai refusé de me juger à travers le regard d’autres personnes. Pas plus que je ne dépends de l’approbation des autres. Ma valeur intrinsèque se trouve en moi.
C’est également en nous que se tapit un désir qui attend d’être allumé. En étant à l’écoute de notre voix interne, on peut découvrir des indices qui nous permettront d’identifier ce qui nous stimule, ce qui nous amène à nous sentir plus vivants. Lorsque nous découvrons notre véritable vocation dans la vie, cela peut déclencher un incroyable potentiel, de même qu’une passion qui
nous motivera à poursuivre ces passionnants objectifs, de poursuivre nos rêves et d’atteindre des sommets inespérés2.
Je crois fermement que la vie de plusieurs PQB peut s’enrichir de façon importante si un plus grand nombre d’entre nous sont disposés à être authentiques et en parlant publiquement sur le sujet. Mais je suis bien conscient que la nature même du bégaiement est telle que certains puissent hésiter ou sont incapables d’en discuter avec d’autres. Je souhaite sincèrement que la conférence en ligne ISAD 2016 s’avère un tournant dans la vie de plusieurs en les encourageant à adopter une politique de plus grande ouverture et d’acceptation de soi3.
Mon expérience témoigne qu’il n’est jamais trop tard pour se libérer d’une image de soi limitée qui restreint nos aspirations. Après tant d’années de frustration et de sous- accomplissements, je me présente enfin autrement au monde. Je savoure aussi pleinement la manière hautement favorable dont les autres réagissent à mon égard. Nous ne sommes jamais trop vieux pour devenir la personne que nous avons toujours souhaité être.
1 Joseph Sheehan parlait du « complexe du géant enchaîné. » RP
Alan
SOURCE : Traduction de You’re never too old … de Alan Badmington. Texte rédigé dans le cadre de L’International Stuttering Awareness — 2016. Pour obtenir la version origninale, cliquez sur le lien suivant : https://isad.isastutter.org/isad-2016/papers-presented-by-2016/stories-and-experiences-with- stuttering-by-pws/youre-never-too-old-alan-badmington/
Traduction de Richard Parent, Mont St-Hilaire, Québec.