Lettre de Frida Kahlo à Georgia O’Keeffe
« Je voudrais te raconter tout ce qui m’est arrivée depuis la dernière fois que nous nous sommes vues, mais la plupart des ces histoires sont tristes et tu ne dois pas lire des choses tristes maintenant. »
Il y a quelque chose de particulièrement encourageant à témoigner du cercle vertueux de soutien et d’appréciation mutuelle entre deux sommités créatives. Ces échanges semblent nous rappeler que, contrairement au mythe toxique du génie solitaire, la culture créative est propulsée par la puissance du scenius ( Le scenius est une osmose intellectuelle collective ) par la bonne volonté et la générosité des âmes sœurs, par des rappels tangibles que nous appartenons à une réalité plus grande que ce que nous sommes.
L’un des échanges les plus touchants a eu lieu entre deux des plus grandes artistes les plus remarquables que le monde ait jamais connues : Frida Kahlo et Georgia O’Keeffe . Toutes les deux étaient des écrivaines prolifiques – Kahlo dans ses lettres d’amour illustrées passionnées à Diego Rivera , et O’Keeffe dans ses lettres d’amour tout aussi passionnées à Alfred Stieglitz , sa correspondance de longue date avec son meilleur ami et ses missives enhardies à Sherwood Anderson . Mais ce que Kahlo a écrit à O’Keeffe en 1933 était un tout autre genre de magie épistolaire et humaine.
Même si la peintre mexicaine traversa elle-même une période difficile – dont une fausse couche quelques mois plus tôt, le décès récent de sa mère et plus de trente opérations au cours de sa vie après un grave accident de la circulation à l’adolescence où une barre de fer avait traversé son estomac et son utérus – Kahlo n’hésita pas à tendre la main à O’Keeffe avec compassion alors qu’elle traversait une période compliquée.
La peintre américaine était hospitalisée pour une dépression nerveuse et les médecins lui avaient demandé de ne pas peindre pendant un an, Kahlo lui envoya alors un résumé de ce que Virginia Woolf appela si justement « l’art humain ».
Dans une lettre du 1er mars 1933, conservée par la Beinecke Rare Book & Manuscript Library à Yale, Kahlo écrit :
Georgia,
Ce fut merveilleux d’entendre à nouveau ta voix. Chaque jour depuis que je t’ai appelée et à plusieurs reprises j’ai voulu t’écrire une lettre. Je t’ai beaucoup écrit, mais chacune semblait plus stupide et vide alors je les ai déchirées.
Je ne peux pas écrire en anglais tout ce que j’aimerais te dire, surtout à toi. Je t’envoie cette lettre car je te l’ai promise. Je me suis sentie mal quand Sybil Brown m’a dit que tu étais malade, mais je ne sais toujours pas ce qui se passe.
S’il te plaît Georgia, si tu ne peux pas écrire, demande à Stieglitz de le faire pour toi et dis-moi comment tu te sens, d’accord ?
Je serai à Detroit encore deux semaines. Je voudrais te raconter tout ce qui m’est arrivée depuis la dernière fois que nous nous sommes vues, mais la plupart de ces histoires sont tristes et tu ne dois pas lire des choses tristes maintenant.
Après tout, je ne devrais pas me plaindre parce que j’ai été heureuse à bien des égards. Diego est gentil avec moi, et tu ne peux pas imaginer à quel point il est heureux de travailler sur les fresques ici.
J’ai peint un peu aussi et ça m’a aidée. J’ai beaucoup pensé à toi et n’oublie jamais tes merveilleuses mains et la couleur de tes yeux. Je te verrai bientôt. Je suis sûre qu’à New York, je serai beaucoup plus heureuse.
Si tu es toujours à l’hôpital à mon retour, je t’apporterai des fleurs, mais c’est tellement difficile de trouver celles que je voudrais pour toi. Je serais si heureuse si tu pouvais m’écrire ne serait-ce que deux mots.
Je t’aime beaucoup Georgia.
Frieda
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est la mise en miroir et l’inversion simultanées des circonstances relatives à la relation entre l’art et la santé mentale. Kahlo avait en fait commencé à peindre en se remettant, immobile dans son lit, de l’accident brutal qui l’avait presque tuée. Au moment de leur correspondance de 1933, O’Keeffe faisait le contraire – restant au lit pour se remettre de s’être brutalement surmenée dans l’art.
Mais ce n’était pas le seul renversement d’histoire entre les deux. Citant la lettre dans son livre Carr, O’Keeffe, Kahlo: Places of Their Own ( bibliothèque publique ), Sharyn Rohlfsen Udal – suggère que Kahlo, aurait pu être intéressée par quelque chose de plus qu’une amitié avec O’Keeffe — écrit :
Le prochain enregistrement confirmé du contact O’Keeffe-Kahlo était par l’intermédiaire de leur amie commune Rose Covarrubias, qui a emmené O’Keeffe rendre visite à Kahlo (confinée au lit à Coyoacan après une hospitalisation d’un an) à deux reprises lors de la visite d’O’Keeffe au Mexique. C’est un renversement intéressant des rôles par rapport au contact de 1933, lorsque c’était O’Keeffe qui était malade, et Kahlo la visiteuse attentionnée.
Et c’est peut-être le but – un rappel que l’histoire des arts et des lettres est parsemée de ces fils à peine visibles de réciprocité, de générosité et de bonne volonté, qui constituent la structure de soutien la plus solide de l’esprit créatif.