« Soyez là pour entendre… la flûte de toute votre existence… »
« Décider si la vie vaut la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie », a écrit Albert Camus , une déclaration qui n’a fait qu’augmenter en notoriété intellectuelle et en signification spirituelle depuis un demi-siècle. Mais au-delà de la philosophie, lorsque la volonté de vivre ou de mourir se joue dans le domaine personnel, cela crée un tourbillon de douleur – non seulement pour la personne angoissée qui envisage le suicide mais pour ceux qui l’aiment, sans parler de la périlleuse contagion sociale du suicide.
Le poète lauréat du prix Pulitzer Galway Kinnell (1er février 1927-28 octobre 2014) a abordé cette question élémentaire de l’existence avec une compassion et une grâce spirituelle extraordinaires dans un poème qu’il a écrit pour l’un de ses étudiants qui envisageait de se suicider après la fin difficile d’une romance. Publié à l’origine dans la magnifique collection de Kinnell intitulée Mortal Acts, Mortal Words en 1980 , il a ensuite été inclus dans A New Selected Poems
ATTENDEZ
Attendez, pour l’instant.
Méfiez-vous de tout, s’il le faut.
Mais faites confiance aux heures. Ne vous ont-elles pas
emporté partout, jusqu’à maintenant ?
Les événements personnels redeviendront intéressants.
Les cheveux deviendront intéressants.
La douleur deviendra intéressante.
Les bourgeons qui s’ouvrent hors saison redeviendront beaux.
Les gants d’occasion redeviendront beaux,
ce sont leurs souvenirs qui leur donnent
besoin d’autres mains.
Et la désolation des amants est la même : ce vide énorme
creusé dans des êtres aussi minuscules que nous
demande à être comblé ; le besoin
d’un nouvel amour qui sera plus fidèle que l’ancien.
Attendez.
Ne partez pas trop tôt.
Vous êtes fatigué. Mais tout le monde est fatigué.
Mais personne n’est trop fatigué.
Attendez un peu et écoutez.
La musique des cheveux,
La musique de la douleur,
La musique de métiers à tisser tissant à nouveau nos amours.
Soyez là pour l’entendre, ce sera le seul moment,
surtout pour entendre,
la flûte de toute votre existence,
répétée par les chagrins, se jouer jusqu’à épuisement total.